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De toutes petites cellules pour de tout petits poumons

« Il n’y a pas si longtemps, les cellules souches étaient des choses que l’on cultivait dans des boîtes de Petri. Aujourd’hui, elles sont à la base de thérapies qui changent la donne et qui peuvent sauver la vie des plus petits patients. »  Dr Bernard Thébaud

Le Dr Bernard Thébaud écoute les poumons d’un bébé prématuré. Source de la photo : l’Hôpital d’Ottawa.

 

Les essais cliniques sont le moteur du progrès médical, offrant de l’espoir aux patients, sauvant des vies grâce à des traitements innovants et repoussant les limites de la connaissance scientifique.

Le Réseau des cellules souches s’est entretenu avec le Dr Bernard Thébaud à propos de son essai clinique, une première mondiale, qui vise à tester une thérapie à base de cellules souches destinée à aider à prévenir la dysplasie broncho-pulmonaire (DBP), une maladie pulmonaire chronique qui touche les bébés prématurés. Jusqu’à présent, neuf bébés ont été traités dans le cadre de cet essai d’innocuité et, soulignons-le, les premiers bébés traités ont pu rentrer chez eux avec leurs parents – ce qui représente un jalon important pour le Dr Thébaud et son équipe.

Q : Merci d’avoir pris le temps de vous joindre à nous, Dr Thébaud! Il s’agit d’une première mondiale! Quel effet cela vous fait-il d’être rendu au stade de l’essai clinique? Qu’est-ce que cela signifie pour les familles et pour l’avenir de ce domaine?

R : Dr Bernard Thébaud : C’est un rêve devenu réalité. La recherche en laboratoire, c’est intéressant, mais ce qui est important, c’est d’avoir un impact et de changer la vie des patients, et c’est ce que nous tentons de faire. Je préférerais ne plus jamais publier d’article et concentrer mes efforts sur des choses concrètes, comme administrer des thérapies aux patients et démontrer l’efficacité de ces thérapies. C’est un sentiment extraordinaire pour notre équipe de recherche, car cela fait 18 ans que nous travaillons en vue de ce moment. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Ce fut un processus très prudent et réfléchi, qui a consisté à réaliser des études en laboratoire pour démontrer que la thérapie cellulaire était susceptible de protéger un poumon néonatal, puis à faire tout le travail translationnel qui conduit à l’application clinique. Nous avons également échangé de manière très délibérée avec les parents pour leur demander ce qu’ils pensaient d’un tel essai clinique. Et je pense que la combinaison de tous ces éléments a abouti à un excellent essai de phase 1, qui vise à tester l’innocuité des cellules stromales mésenchymateuses – ou CSM – et leur efficacité à favoriser la croissance pulmonaire.

Pour les familles, cet essai clinique revêt une signification très particulière, puisque rien n’est plus important pour elles que leur nouveau-né, elles qui ont été déjà très perturbées d’apprendre qu’elles vivraient une naissance prématurée. En néonatologie, plusieurs thérapies révolutionnaires ont vu le jour au fil des ans, mais elles sont toutes maintenant vieilles d’une trentaine d’années.

Nous espérons que si nous parvenons à démontrer l’efficacité de ces cellules et à améliorer le sort des bébés prématurés, cette thérapie cellulaire pourra un jour être utilisée dans le monde entier pour sauver la vie de tels bébés. Bien sûr, nous devrons d’abord le démontrer dans le cadre d’un essai clinique de phase 2, et le chemin à parcourir d’ici là sera encore long. Mais jusqu’à présent, les résultats de notre essai clinique de phase 1 sont très prometteurs.

Q : C’est une excellente nouvelle et je vous félicite pour les progrès considérables que vous avez faits dans vos recherches. Allons un peu plus loin si vous le voulez bien. Votre équipe utilise une thérapie à base de cellules souches pour aider à prévenir la « DBP ». Parlez-nous un peu de la DBP. Qu’est-ce que c’est et comment affecte-t-elle les bébés prématurés et leur développement? 

R : Dr Bernard Thébaud : DBP est l’abréviation de dysplasie broncho-pulmonaire. Il s’agit d’une maladie pulmonaire chronique qui touche les bébés nés trop tôt. Lorsque les bébés naissent trop tôt, c’est-à-dire avant 28 semaines de grossesse ou 12 semaines avant la date prévue, nous savons que leurs poumons sont encore en pleine croissance, qu’ils ne sont pas complètement développés et qu’ils ont du mal à absorber l’oxygène. Ces bébés doivent souvent être ventilés mécaniquement et soutenus par une machine qui leur fournit une pression et de l’oxygène supplémentaires. Bien que ce type d’intervention permette de les maintenir en vie, il entraîne également certains effets indésirables.

La DBP est l’une des complications les plus fréquentes des naissances prématurées. La raison pour laquelle il s’agit d’un problème si important et qu’il vaut la peine de s’y attaquer est que les bébés qui souffrent de DBP sont souvent exposés à un risque de cécité ou de déficiences neurodéveloppementales. Bref, si nous sommes en mesure de traiter la DBP, ces bébés en tireront plusieurs bienfaits.

Q : Revenons un peu en arrière. Pouvez-vous nous décrire les aspects scientifiques de votre projet? Comment les cellules souches interviennent-elles dans ce traitement? 

R : Dr Bernard Thébaud : L’idée est née des propriétés régénératrices que l’on attribue aux cellules souches. Les cellules souches qui nous intéressent peuvent être isolées du cordon ombilical. L’avantage, c’est que le cordon ombilical est présent dès la naissance et que nous pouvons en extraire un grand nombre de cellules stromales mésenchymateuses, ou CSM. Ces cellules particulières semblent être capables de réduire l’inflammation de manière très efficace. La DBP a une composante inflammatoire, et c’est pourquoi nous pensons que ces cellules peuvent contribuer au traitement et à la prévention de la DBP. Nous avons réalisé des études approfondies en laboratoire pour montrer que si nous injectons ces cellules dans des modèles qui imitent la DBP, nous pouvons protéger les poumons et atténuer l’inflammation. Et nous pensons qu’en plus d’atténuer l’inflammation, ces cellules peuvent également favoriser la croissance des poumons.

Emmy Cogan est le premier bébé traité lors d’un premier essai clinique mondial d’une thérapie cellulaire pour la dysplasie bronchopulmonaire. Source de la photo : l’Hôpital d’Ottawa.

Q : Vos premiers patients sont maintenant rentrés chez eux. C’est très enthousiasmant – que pouvez-vous nous dire sur l’état de ces bébés? Pendant combien de temps les suivrez-vous?

R : Dr Bernard Thébaud : Jusqu’ici, ils se portent tous bien. Encore une fois, il s’agit d’un essai de phase 1, donc d’une étude d’innocuité et de faisabilité. Nous n’avons pas encore de résultats quant à l’efficacité du traitement. Cela dit, cet essai de phase 1 nous a donné des signes importants qui laissent penser que nos cellules sont non seulement sûres, mais qu’elles peuvent peut-être aussi améliorer le sort des patients. Nous avons par exemple un bébé qui, après avoir reçu la thérapie cellulaire, n’a pas eu besoin de stéroïdes postnataux, ce qui est généralement inédit chez les grands prématurés comme ceux qui sont admissibles à notre essai. Ils ont presque toujours besoin de stéroïdes postnataux. Nous avons également eu un bébé né à 23 semaines, qui resterait habituellement dans une unité de soins intensifs jusqu’à un âge corrigé de 44 semaines, mais ce bébé est rentré chez lui à un âge corrigé de 37 semaines, sans avoir besoin d’oxygène supplémentaire. C’est nettement très impressionnant.

Le prochain grand rendez-vous avec les bébés aura lieu à l’âge de 24 mois, lors du suivi du développement neurologique. Tous les prématurés ont ce type de suivi. Même s’il ne s’agit pas du critère principal d’évaluation de l’étude, j’espère que nous verrons d’autres signes intéressants à ce stade de nos recherches. Ensuite, nous communiquerons par téléphone chaque année pendant 10 ans avec les parents pour leur demander comment vont leurs enfants.

J’ajouterais que l’essai dont nous parlons s’appelle l’essai HUL-C (Helping Underdeveloped Lungs with Cells, ou Aider les poumons sous-développés avec des cellules) – comme le personnage de bande dessinée Hulk. Les deux autres projets sur lesquels mon laboratoire travaille s’appellent AAvenger et Ironman. Ce sont des acronymes significatifs, qui stimulent notre équipe, et nous pensons que nos petits patients sont de véritables superhéros.

Le Dr Thébaud pose à côté de « Hulk », qui a inspiré le nom de son essai clinique HUL-C (Helping Underdeveloped Lungs with Cells), une première mondiale. La taille des boules de styromousse représente l’augmentation du dosage reçu par les patients participant à l’essai.

Q : C’est très spécial! Vous ferez grandement partie de la vie de ces familles, et ce, pendant longtemps. Dites-nous, y a-t-il un moment de votre essai clinique ou de vos recherches qui vous a marqué plus particulièrement?

 R : Dr Bernard Thébaud : Au début de l’essai, avec notre tout premier patient, nous étions tendus, parce que nous travaillions très fort pour nous assurer que tout était comme il le fallait et pour faire en sorte que tout se passerait bien. Nous étions à l’unité de soins intensifs néonataux, l’infirmière avait tout organisé et nous étions prêts à entreprendre l’intervention. Au moment d’administrer le traitement cellulaire à l’aide de la pompe, l’infirmière m’a tapé sur l’épaule et m’a demandé : « Bernard, voulez-vous démarrer la pompe? » Je me suis retourné et j’étais ému, j’avais les larmes aux yeux à ce moment-là. J’étais là, si tendu et si concentré, mais quand elle m’a demandé d’appuyer sur la pompe, pour le tout premier bébé, j’étais vraiment ému. Le moment était venu. C’est quelque chose que je n’oublierai jamais.

Un autre événement mémorable est survenu bien avant que nous n’entreprenions l’essai clinique. Quatre ans après le début de ma carrière de chercheur indépendant, je me trouvais en clinique. Je parlais à une mère des problèmes que son bébé prématuré avait aux deux poumons, et elle m’a demandé : « Mais, n’y a-t-il rien que vous puissiez faire pour mon bébé dès maintenant? » Cette phrase a tout changé pour moi. J’étais enthousiasmé par mes recherches, mais je n’avais rien qui pouvait aider cette personne tout de suite. C’est pourquoi, depuis ce jour, chaque nouvelle idée que nous adoptons et chaque élément de notre recherche vise à mettre des thérapies à la disposition des cliniciens et des patients, afin de répondre à la question de cette mère : « N’y a-t-il rien que vous puissiez faire pour mon bébé dès maintenant? » Et nous sommes aujourd’hui arrivés à un stade où nous pouvons commencer à répondre : oui.

Le Dr Thébaud examine un bébé prématuré à l’unité de soins intensifs néonataux.
Source de la photo : l’Hôpital d’Ottawa.

 

Q : Vous nous donnez la larme à l’œil. Quels moments extraordinaires! Maintenant, pour quelqu’un qui ne connaît rien à la recherche sur les cellules souches et la médecine régénératrice, que lui diriez-vous pour lui expliquer l’incroyable potentiel qu’offre ce domaine de recherche?

R : Dr Bernard Thébaud : Contrairement à une thérapie pharmacologique, comme un antibiotique, par exemple, ou un médicament contre l’hypertension, les cellules souches sont des organismes vivants. On peut dire qu’il s’agit des briques qui constituent notre corps. Et contrairement aux médicaments pharmacologiques, ces minuscules cellules envoient des signaux et interagissent avec d’autres cellules du corps, et elles possèdent des propriétés supplémentaires que les médicaments pharmacologiques n’ont pas. Elles peuvent mieux s’adapter et réparer les organes, par exemple, et il s’agit donc d’un paradigme complètement nouveau en médecine. Il a fallu beaucoup de temps pour comprendre ce que ces cellules peuvent faire et nous avons encore beaucoup à apprendre, bien sûr, mais les thérapies cellulaires sont uniques. La médecine régénératrice est susceptible de véritablement révolutionner la médecine au cours des 20 prochaines années.

Q : Comment pouvons-nous maintenir cet élan? Par exemple, que diriez-vous aux décideurs sur ce qui devrait être fait pour aider la médecine régénératrice et la médecine à base de cellules souches à progresser au Canada?

R : Dr Bernard Thébaud : Au Canada, nous disposons honnêtement d’un formidable écosystème de médecine régénératrice à base de cellules souches, en grande partie grâce à des organisations comme le Réseau de cellules souches. Et l’écosystème lui-même est fondé sur la collaboration.

Maintenant que nous avons créé cet écosystème, nous devons le soutenir pour que des percées puissent avoir lieu. Nous espérons parvenir à un traitement qui changera la donne pour les bébés prématurés. Ailleurs au Canada, des chercheurs mènent des travaux de pointe en médecine régénératrice dans le but de guérir un jour le diabète, par exemple. Ces travaux se font ici même au Canada, et nous sommes des chefs de file dans ce domaine. C’est pourquoi nous avons besoin d’investissements pour continuer de progresser vers la réussite. Et plusieurs réussites sont actuellement sur le point de se réaliser. Il n’y a pas si longtemps, les cellules souches étaient des choses que l’on cultivait dans des boîtes de Petri. Aujourd’hui, elles sont à la base de thérapies qui changent la donne et qui peuvent sauver la vie des plus petits patients.

Le Dr Bernard Thébaud et les chercheurs du laboratoire Thébaud.

Q : Vous avez mentionné le Réseau de cellules souches, qui soutient vos recherches depuis 2007 et qui a également financé votre essai clinique. Pourquoi une organisation comme le RCS est-elle importante pour vos recherches et pour la communauté de la médecine régénératrice au Canada?

 R : Dr Bernard Thébaud : Le Réseau de cellules souches joue dans la cour des grands. Il est unique au Canada, et dans le monde, car il s’agit d’un véritable réseau, où cœur duquel des chercheurs, des cliniciens et des professionnels de l’industrie se rencontrent, échangent des connaissances et collaborent afin que des thérapies à base de cellules souches puissent atteindre leur plein potentiel. Le RCS offre des subventions pour tester des idées très rudimentaires, et ce, dès le début et jusqu’aux essais cliniques. C’est très unique, car parfois, lorsqu’il s’agit de passer des études de laboratoire au chevet du patient – cette transition que l’on appelle souvent « la vallée de la mort » – le type de recherche que l’on doit mener n’est pas très novateur ou passionnant, mais il est absolument essentiel. Le RCS offre également une formation aux talents de la prochaine génération et des possibilités pour les nouveaux scientifiques d’acquérir la meilleure expérience pratique possible ici même au Canada. Le RCS est un élément absolument essentiel de l’écosystème de la médecine régénératrice.

Le Dr Bernard Thébaud est néonatologiste à l’Hôpital d’Ottawa et au CHEO, scientifique principal à l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa et à l’Institut de recherche du CHEO, professeur à l’Université d’Ottawa et chercheur financé par le RCS.

Publié en septembre 2023, mis à jour en janvier 2024.